Dans un long article paru sur son blog au mois de juillet dernier, la Fédération Nationale des Collectivités pour la Culture (FNCC) se fait largement l'écho de notre étude parue en 2015: "le cinéma itinérant en France". Si cette étude menée par l'ANCI en partenariat avec le CNC et le CGET date de quelques années, son contenu, pour l'essentiel, demeure valable.
Dans l'article ci-dessous, la FNCC en fait un compte rendu de qualité et s'appuie sur quelques enseignements choisis pour illustrer le rôle indispensable que jouent les circuits de cinéma itinérant dans des territoires ruraux trop souvent délaissés.
L’histoire du cinéma itinérant mêle l’itinérance artistique par ses origines foraines et se fonde sur les idéaux de l’éducation populaire. En un temps où s’est fortement manifesté un sentiment de délaissement culturel des territoires périurbains et ruraux, le cinéma itinérant apparaît comme l’un des chemins pour une meilleure intégration. Ses liens très étroits avec les collectivités en font un outil proprement politique. Mais sa réalité reste mal connue. Rares sont les études qui lui sont dédiées (1999 par la Fédération nationale des foyers ruraux, 2009 par le CNC). Celle de l’Association nationale des cinémas itinérants (ANCI)– « Le cinéma itinérant en France » –, bien que portant sur des chiffres de 2014, reste la source d’information la plus à jour. Quelques éléments.
Réalité des circuits de cinéma itinérant : il en existe 97, pour la plupart sous forme associative (82%) ; 45% des circuits opèrent dans le quart sud-est (Auvergne-Rhône-Alpes et PACA). Leur objectif consiste à maintenir une présence régulière du cinéma dans les villages, en proposant des films récents à une population vivant loin des lieux culturels dans une perspective de divertissement. Pour autant, une part d’entre eux (46 circuits) sont classés Art & Essai, essentiellement avec le label “jeune public” (32). Et, plus largement, ces initiatives s’inscrivent au-delà d’une seule logique de diffusion : leur grande majorité propose au moins dix ateliers d’éducation à l’image par an : 67 circuits ont contribué au dispositif “Ecole et cinéma”.
Un marché restreint mais une appétence forte. La part de marché et d’audience des circuits de cinéma itinérant est extrêmement réduite. Le rapport du CNC “Géographie du cinéma 2015” (cf. la Lettre d’Echanges n°147) chiffre à 1,5% de la fréquentation globale des cinémas (205,3 millions d’entrées) celle observée en territoire rural (3,17 millions d’entrées). Et dans cet ensemble de la diffusion en milieu rural, la part redevable au cinéma itinérant (5% du parc total d’établissements cinématographiques) n’est que de 0,6%.
Il faut cependant relativiser ces chiffres très modestes car le nombre de séances proposées par les cinémas itinérants a progressé de près de 5% entre 2014 et 2015 et leur nombre d’entrées a cru de 3% alors même qu’il a fléchi de -1,8% en moyenne au niveau national.
La menace du numérique. L’essor de la projection numérique a failli sonner le glas des circuits itinérants : « Très peu de circuits auraient pu survivre à l’obligation de s’adapter à la projection numérique s’ils avaient dû le faire par leurs seuls moyens. » La solidarité nationale et territoriale, via des financements croisés, a permis de surmonter cette mutation.
Le dispositif « cinenum » d’aide à la numérisation du CNC, a permis l’acquisition de 269 projecteurs sur les 344 aujourd’hui en service dans l’itinérance de la diffusion cinématographique (soit un financement de 7M€). Les régions ont contribué à l’achat de 205 projecteurs, les départements de 116 et les communes et leurs groupements de 95.
L’origine : la prégnance de l’éducation populaire. Dans son introduction, le président de l’ANCI, Eric Raguet, synthétise l’histoire des circuits itinérants : « Le cinéma est né itinérant. Dès 1896/97, des entrepreneurs parcouraient villes et villages ou bien animaient les foires dans différents départements de France en transportant leur propre matériel de projection. Progressivement, ces séances se sont organisées en “tournées” dans les communes rurales qui, disposant d’une salle des fêtes, accueillaient des projections en format 16mm. Les mouvements paroissiaux et d’éducation populaire étaient, le plus souvent, à l’origine de ces séances. »
La volonté des mouvements d’éducation populaire de favoriser l’épanouissement de la personne et le bien-être collectif les ont naturellement conduit à considérer que le cinéma comme moyen d’accès à la culture doit rester accessible à tous. Cet outil favorise en effet « une animation permettant aux différents habitants de se retrouver, d’échanger, bref de créer des liens indispensables à la vie sociale d’une commune ».
Cette conviction reste aujourd’hui encore très vivace. Plus d’un circuit itinérant sur trois (37,7%) relève d’une fédération d’éducation populaire : 20 sont affiliés à la Ligue de l’enseignement et 7 à la Fédération des foyers ruraux. La Fédération française des MJC et la Confédération française des MJC en pilotent chacune 3. A quoi il faut ajouter les 4 circuits en Centre-Val de Loire dépendant de Familles rurales, la fédération des associations familiales. Par ailleurs, les partenaires des circuits itinérants reflètent également cette origine de l’éducation populaire : parmi les relais locaux des circuits, on dénombre 30 centres sociaux, 47 MJC et 138 foyers ruraux.
Le rôle central des bénévoles. Non sans lien avec ces racines liées à l’éducation populaire, l’étude souligne l’importance du rôle des bénévoles. « Sans les bénévoles impliqués dans l’animation de leur commune, et sans leur désir de maintenir une vie sociale et culturelle dans des territoires progressivement délaissés par les services publics et soumis à la transformation d’une société marquée par une réalité économique peu favorable au milieu rural, il n’y aurait pas de cinéma itinérant. La plupart des circuits, même aidés par les collectivités territoriales, ne pourraient assumer seuls un tel service. » Mais ce bénévolat ne fonctionne pas seul : « Les mairies, directement ou indirectement, représentent 34% des partenariats énoncés par les 98 circuits de cinéma », aux côtés des associations, culturelles ou autres (51,5% des partenaires des circuits itinérants).
N’importe où… Les circuits sont non seulement itinérants mais protéiformes, tant est grande leur capacité d’adaptation. Le cinéma itinérant s’installe pour l’essentiel sur la place publique, dans une cour ou un théâtre de verdure. Ou encore en emmenant sa propre salle-camion, comme le Cinémobile en région Centre-Val de Loire (cf. le “portrait culturel” de la région Centre-Val de Loire). Mais la liste des lieux où il est susceptible de s’implanter s’avère bien plus longue : salles des fêtes, salles de spectacle ou lieux culturels, anciens cinémas, établissements scolaires, maisons d’arrêt, campings ou villages de vacances, terrains et salles de sport, établissements de soins, églises, cafés, moulins, châteaux…
Grâce à cette adaptabilité, les circuits de cinéma itinérant sont aujourd’hui présents dans 1 748 communes, pour l’immense majorité rurales : 70% des communes concernées ont une population inférieure à 2 000 habitants et 90% une population de moins de 5 000 habitants.
Des financements publics essentiels. Plus encore que les salles, souvent soutenues dans les petites villes ou les bourgs par les municipalités, les circuits du cinéma itinérant s’appuient sur des financements publics, et ce d’autant plus que leurs recettes propres sont réduites et leurs frais importants. « Il faut aller dans les villages, dans les zones rurales parfois montagneuses ; transporter le matériel de projection, de sonorisation souvent, l’écran parfois. Il faut assurer la maintenance du matériel. Pour les projections en plein air, il faut investir dans du matériel spécifique (écran gonflable par exemple). » Sur la centaine de circuits itinérants existants, 70 reçoivent un soutien financier des communes et communautés de communes, 57 des départements et 45 des régions. A noter que, pour leur part, les DRAC ne soutiennent qu’une quinzaine de circuits et l’Europe seulement deux…
La place incontournable des communes. Dans la majorité des cas, les organismes gérants les circuits itinérants passent avec les communes des conventions fixant les conditions d’accueil et les obligations de chacun. Il ne s’agit pas forcément d’une contribution financière. La mise à disposition gratuite de locaux ou d’emplacements pour les projections est une règle naturellement très répandue : elle vaut pour 1 630 lieux desservis par les circuits, soit 92,5% des 1 762 points de projection. Il est également fréquent que les communes mettent des personnels à disposition, parfois en application d’une convention, parfois parce que le lieu l’exige, par exemple pour des projections en plein air.
Toutefois, le rapport note que « les réponses aux questionnaires font apparaître de manière un peu surprenante que la participation financière des bénéficiaires des projections, presque toujours des communes, n’est pas systématique ». Ainsi, 27 circuits font état d’une totale absence d’implication financière, humaine ou matérielle de la commune dont les populations profitent des projections. Parfois même, la mise à disposition de la salle ou du lieu de projection n’est pas formalisée.
Quel avenir pour le cinéma itinérant ? Pour autant, se félicite le président de l’ANCI, « nous avons pu constater combien cette pratique culturelle suscitait un intérêt enthousiaste de la part des militants associatifs qui l’animent, mais aussi des élus locaux et particulièrement des municipalités qui accueillent nos séances ». Et on peut anticiper que cet enthousiasme vis-à-vis des circuits de cinéma itinérant ne pourra qu’aller croissant au fur et à mesure des mutations démographiques qui peuplent les territoires ruraux de populations issues des villes, ces populations mêmes pour lesquelles on constate que la sortie au cinéma constitue leur pratique culturelle préférée. Une nouvelle étude de l’ANCI s’avère indispensable.
Source : https://www.fncc.fr/blog/les-circuits-de-cinema-itinerant-en-france/